Si nous avons toujours pensé que la norme en fonction d’un âge donné, et d’un niveau scolaire attendu était un obstacle majeur pour l’école inclusive, nous constatons une dérive actuelle bien importante celle de la demande très forte de la particularité. Examinez de plus près les chiffres de demandes d’aménagements dans vos classes, vos établissements… et surtout leur progression spectaculaire…
La primauté du sujet et de son originalité sont des données qui aujourd’hui sont omniprésentes et qui pour être reconnues se tournent vers une médicalisation. Un diagnostic médical permet alors de revendiquer ce droit à aménagement. Et nous sommes, il me semble, en train de faire de la particularité la nouvelle norme. Si je ne suis pas « particulier’, et si surtout ma particularité n’est pas reconnue, alors il y aurait une injustice.
Rappelons, qu’effectivement, le fait de considérer que tous les enfants apprennent à lire à 6 ans crée de nombreuses difficultés et est à l’origine de nombreux parcours scolaires difficiles. Les enseignants expérimentés et qui arrivent à rassurer les parents et les enfants , qui travaillent en équipe, peuvent accompagner au mieux ce passage entre la grande section et la fin du CE1 pour faire en sorte que cet apprentissage se réalise au mieux et que toute lenteur ou difficulté rencontrée ne conduise pas immédiatement à une médicalisation. Certes, il est demandé une vigilance dans l’observation de signes précurseurs de troubles » dys » , mais il est aussi possible de considérer que cet apprentissage fondamental ( en ce qu’il fonde le rapport au savoir et à l’école) peut se réaliser à des rythmes différents.
Toutes les nouvelles connaissances sur le fonctionnement du cerveau et la vulgarisation nécessaire pour mieux comprendre tous les troubles constituent un immense progrès. Cela a permis une déculpabilisation importante, il n’y a pas de fautif mais un fonctionnement spécifique du cerveau. Là où nous sommes entrain d’aller trop loin, c’est sans doute de transformer toute légère particularité en besoins éducatifs particuliers, que ce soit les parents ou aussi les enseignants. Le juste équilibre est difficile à trouver. Pour tout parent, son enfant est particulier. L’école est le lieu où se construit le rapport à l’autre dans un collectif qui se structure et se développe au fil des années et de la maturité des élèves. il est indispensable de considérer que l’on apprend toujours avec d’autres, en étant semblables et différents. Ce n’est pas la norme qui nous fonde dans notre similitude, c’est le fait d’être humain et d’avoir à vivre ensemble et à répondre ensemble aux différents besoins fondamentaux qui rejoignent les droits de l’enfant. Ce n’est pas non plus la compétition qui peut prendre en compte à la fois similitude et particularité.
La dérive actuelle se situe donc dans le fait que la nouvelle norme est d’être particulier. Ce centrisme sur « moi, je ... » peut conduire à transformer les enseignants en précepteurs, les parents en revendicateurs des droits aux aménagements , et les élèves à ne pas se sentir concernés si on ne s’adresse pas à eux en particulier…
Nous avons la possibilité de montrer une autre vision, plus humaniste, plus constructive, plus respectueuse aussi de rythmes différents, c’est d’interroger profondément ce que nous proposons :
– à un niveau macro , si nos ministres parlent d’une refondation de l’école, il nous faut envisager une école qui ne fonctionne plus en classe d’âge mais s’organise autour de groupes de référence « projets multi âge »et de groupes de « constructions de compétences et d’entrainement » plus cibles sur les besoins liés au développement cognitif. L’école du socle était dans ce sens une bonne idée, trop vite abandonnée et la mise en place des cycles n’a pas conduit à une organisation en classe de cycles ( ou bien rarement) qui serait déjà un premier pas vers cette reconnaissance de ce » être et apprendre ensemble, semblables et différents ».
– au niveau de l’établissement, il est possible de promouvoir une école de la coopération et de développer des pratiques qui fondent un collectif apprenant porteur d’un projet de réussite collective. Il est donc nécessaire d’interroger les pratiques qui classent, qui sélectionnent… Car derrière cette revendication parfois outrancière de la particularité se cache le désir que son enfant soit le meilleur , le premier… Nos prises de parole et nos actes peuvent beaucoup pour montrer qu’il n’y a pas de risque, au contraire, à développer des attitudes d’empathie, de coopération …
– au niveau de l’enseignant et de sa classe, les attitudes de mise en confiance, de reconnaissance de chacun et de pratiques pédagogiques qui autorisent des prises en compte de rythmes et de fonctionnement différents sont nécessaires pour ‘calmer le jeu » de cette nouvelle norme qui demande à s’imposer.
Il est clair cependant que certains enfants ont des besoins d’aide très importants et qu’ils demandent effectivement une attention spécifique. Mais plus nous considérerons que dans toute classe, il y a des élèves qui peuvent être en difficulté de lecture, d’écriture, d’attention… et plus nous concevrons nos propositions pédagogiques en tenant compte de ces invariants, plus nous irons vers la mise en œuvre de l’accessibilité pédagogique qui permet de répondre à ce vivre et apprendre ensemble, semblable et différent.