» J’aimerais comprendre pourquoi cet élève ne comprend pas ! « Voilà ce que disait un enseignant récemment lors d’une journée pédagogique. Remarque et questionnement fondamental au métier d’enseignant, si décourageant parfois et que nous pouvons abandonner faute de réponse et d’avancée probante, mais aussi cœur du métier et moteur de la recherche pédagogique au quotidien.
Ce verbe comprendre est à la fois le mouvement qui permet d’aller vers l’autre pour qu’il me comprenne et pour que je le comprenne ; mouvement qui s’élargit à la compréhension du monde, qui donne prise à un sens qui se construit peu à peu. Nécessité fondamentale qui se joue d’abord dans la sphère familiale quand les parents sont à l’écoute de leur tout petit pour comprendre ce qu’expriment les cris, qui peu à peu se transformeront en mots, en phrases et qui s’associeront aux gestes, aux mimiques, aux expressions propres à chacun. Processus qui se poursuit ensuite en dehors de ce premier cercle.
A l’école, nous nous appuyons sur les évidences de notre langage d’adulte et d’enseignant. Nous tenons pour acquise la langue de l’école et ne tenons pas suffisamment compte des autres dialectes véhiculés au sein des classes et de tous les niveaux d’incompréhension possibles qui empêchent la participation pleine de tous les élèves aux situations d’enseignement/apprentissage proposées.
Le premier niveau d’accessibilité est donc bien celui du langage qui se tisse entre enseignants et élèves. La reformulation par les pairs prend donc toute sa place à minimum. Il s’agit ici de s’assurer que le sens des mots est partagé par tous sans jugement et plus encore de prendre en considération un éventuel écart, d’anticiper au mieux ces ruptures possibles dans la communication de base.
Le second niveau concerne la langue des consignes, langue si spécifique à l’école et qui comporte tant de « pièges », tant de verbes qui balisent l’activité proposée et qui peuvent constituer des obstacles. Combien d’élèves butent sur des mots pris dans leur sens littéral, dans une formulation avec plusieurs étapes mêlées, n’ont pas accès à ce qui au delà des mots doit être abstrait et qui renvoie à une représentation mentale qu’ils n’ont pas.
Le troisième niveau est celui lié aux notions en elles-mêmes qui sont en jeu dans l’apprentissage. C’est le niveau le plus complexe car du point de vue de l’adulte, cela semble si simple. C’est la situation proposée qui est interrogée. Actuellement, de nombreuses démarches se référant au modèle socio-constructiviste, s’appuient sur la nécessité que les élèves découvrent le sens, valident des hypothèses, conçoivent les expérimentations possibles et ce dans toutes les disciplines. Peut-on s’interroger sur le danger d’un tel monopole dans ce qu’il contient d’insécurité pour certains et d’impossibilité pour d’autres à pouvoir proposer ces hypothèses ? L’enseignant doit donc jouer sur la mise en confiance et assurer la prise de risque que cela comporte. C’est dans son attitude et un accompagnement plus proche pour certains qu’il permet d’avancer dans la démarche proposée. Pour certains élèves, il est nécessaire que des hypothèses soient formulées et que ces élèves puissent ensuite les valider. Cette démarche devenue « dogme » pédagogique ne peut empêcher l’enseignant de rechercher tout moyen qui favorise un accès à la notion étudiée : la comparaison qui joue avec l’analogie et la différence ; l’explicitation qui indique le cap et les moyens qui seront pris ; la manipulation… Il ne s’agit pas de recette !… mais bien d’aides nécessaires pour certains qui ne peuvent sinon participer de fait à ce qui est mis en jeu. Il s’agit bien alors d’une situation d’exclusion.
Faire avancer l’école inclusive, c’est rechercher dans les propositions pédagogiques tous les possibles d’exclusion avec lucidité et chercher à les réduire. C’est permettre que le verbe « comprendre » signifie aussi à l’école : « Faire entrer quelqu’un dans un ensemble, l’inclure… » en respectant sa manière singulière d’appréhender le monde.
Véronique Poutoux, rédactrice en chef. Octobre 2014.