Editos

Infuser, essaimer, polliniser…

Le chant des sirènes a encore retenti et s’entend encore sur l’état « catastrophique » de l’école. Les « bonnes vieilles méthodes » ont été abandonnées au profit des « idées pédagogistes » ! Les positions idéologiques défendues par les uns et par les autres emprisonnent l’école et adressent des injonctions paradoxales aux acteurs de terrain.

Comment être en phase avec les réalités de l’école ? Quand d ‘un lieu à l’autre les contextes imposent tant de nuances, tant de diversité. Il n’y a pas une école à deux vitesses mais bien des écoles qui ont pour cadre commun les programmes et le socle commun de connaissances et de compétences et qui tentent, en fonction de leur public, d’organiser au mieux un vivre ensemble qui permette de construire les apprentissages demandés.

Mes expériences d’accompagnement d’équipes me donnent à voir tout autre chose que les discours médiatiques.  Il y a des enseignants demandeurs de formation, qui acceptent d’interroger leur cœur de métier et cherchent à accompagner au mieux tous leurs élèves, dont ceux ayant des besoins éducatifs particuliers. Ils ont appris toutes ces dernières années à naviguer entre PAP, PPS, GEVASCO dans un mouvement de surpersonnalisation qui continue de stigmatiser et entraine un effet démultiplicateur du nombre de ces aménagements. Cela conduit parfois à des situations ingérables et qui n’aident pas forcément les élèves et qui découragent les enseignants.

Deux notions fortes de la loi de février 2005 sont souvent oubliées : celle de la participation et celle de l’accessibilité. Toutes les deux concourent à rechercher au mieux l’autonomie des élèves dans les différentes situations proposées. A force d’aménagements et d’aides demandées, il me semble que nous oublions parfois cette recherche d’autonomie. Les parents légitiment ce droit à… aux aménagements et aux aides… Nous devrions avancer ensemble pour favoriser le droit pour participer de la façon la plus autonome aux différentes situations d’enseignement/apprentissage, situations de vie qui s’offrent tout au long de la scolarité. Pour cela, il convient de penser la notion d’aide pour tous, proposée à tous et mise en œuvre par tous. C’est un changement conceptuel très important qui nécessite de positionner la coopération comme centrale dans toute vie de classe, à tous les niveaux de la scolarité et avec tous les adultes (parents, AESH, professionnels du monde médical, social…) Nous avons tous une responsabilité à porter dans ce domaine.

La chanson disait, et elle avait raison…  » qu’as-tu appris à l’école mon fils, à l’école aujourd’hui ?  » Combien de fois les enfants, élèves doivent-ils répondre à : » Quelles notes as-tu eues aujourd’hui ? et ton évaluation en maths ? … »  Question qui qui consolide le modèle élitiste et de compétition. Est-ce cela que nous voulons ? Pourrons-nous avancer de cette manière, si nous voulons que l’école inclusive se réalise chaque année un peu plus ? La question à poser aujourd’hui serait :  » Qui as-tu aidé aujourd’hui ? Qui t’a aidé aujourd’hui ?  »

Si le projet annuel de la classe était que nous réussissions tous ensemble au mieux de toutes nos possibilités, avec l’aide de nos enseignants et de nos parents, donnant une place égale à toutes les singularités, alors nous mènerions ce changement de paradigme qui demande un collectif enseignant cohérent dans les pratiques pédagogiques qui visent le développement de tous les élèves. Ce mouvement se cherche encore mais dans bien des lieux des petites équipes sont en route et infusent par leur discrète manière d’habiter leur métier d’enseignant des savoir être et savoir-faire utiles à tous et qui développent réellement, loin des idéologies, des pratiques inclusives. Ce changement demande aussi aux parents de nouveaux regards sur l’école, sur le métier enseignant et une confiance donnée à leurs enfants. (Non une crainte larvée de non réussite)

Infusion, essaimage, pollinisation… autant d’actions printanières peu visibles mais combien utiles à la survie des différentes espèces animales, végétales. De même, elles le seront pour un avenir autre de l’école.

• Il, elle peut/ Il, elle ne peut pas !

« Il, elle peut/ Il, elle ne peut pas ! » En fait cette phrase traduit à mon sens un obstacle majeur pour la compréhension des difficultés de nombreux élèves. Car elle révèle qu’il nous faut accepter pleinement ces « impossibilités  » d’agir dans les situations scolaires de certains élèves liées à des troubles ou déficiences.

Tout le monde comprend qu’un élève avec une déficience motrice, qui se déplace en fauteuil roulant ne peut pas faire autrement. Il ne viendrait à l’idée de personne de lui retirer son fauteuil roulant ! Pour ce qui concerne les troubles cognitifs,  se situe une première difficulté qui est celle que le trouble n’est pas visible, qu’il n’est pas homogène et qu’il se traduit différemment suivant les situations, les moments de la journée, de la semaine. Suivant les indications données par les « spécialistes », utiles, confirmées dans le PAP ou le PPS, les aides se mettent en place et permettent des progrès  et c’est alors que l’on entend mais finalement  » a-t-il besoin de  ces aides ? est-ce juste par rapport aux autres ? » Nous serions parfois prêts à lui retirer les aides mises en place.

Ces réactions qui témoignent d’un souci d’égalité et non d’équité , qui disent aussi l’exigence de mieux faire sont recevables. Cependant, elles traduisent à mon sens cette incompréhension de ce que peut faire ou ne peut pas faire l’élève sans aide. Certains élèves ne peuvent pas lire, ne peuvent pas lire des textes de plus de 5 lignes, de plus de 10 lignes Etc… Certains élèves ne peuvent pas écrire … d’autres ne peuvent pas mémoriser ce qui vient d’être lu …

Deuxième difficulté liée à notre propre traversée scolaire et à sa prégnance académique; un élève qui ne peut pas parler (aphasie, dysphasie …ou autre)  peut cependant comprendre ce qui est partagé, exploré dans l’activité proposée…malgré ce que je crois percevoir.

De même, en poussant plus loin, le raccourci est vite fait de conclure qu’un élève qui ne parle pas, ou qui ne lit pas, ou qui n’écrit pas ne comprend pas ce qui est en jeu ! Nous devons absolument nous défaire de cette idée . Cela peut arriver que les difficultés de compréhension se cumulent avec des difficultés dans le dire, lire, écrire mais ce n’est pas systématique et nous devons aller chercher plus loin pour, nous, comprendre ce qui peut se passer dans la tête de cet enfant… Les pionniers de l’éducation des enfants différents au 18eme siècle ont tous fait deux choses : Observer et trouver des moyens de communiquer .

A notre tour nous pouvons développer, avec l’aide de l’élève lui-même, des autres élèves, de ses parents, de son AESH cette observation en situation et cette recherche de communication. Rappelons que la communication n’est pas le seul  langage oral. Les gestes, les expressions, les pictogrammes tous les vecteurs autres de facilitation permettent la communication. Mais nous pouvons être  très déroutés. Car cela demande un apprentissage patient et souvent unique.

Alors que faire ? Nous avons aussi appris dans le métier à généraliser les situations, à tirer  des appréciations ( parfois erronées) de ce que nous voyons et interprétons trop vite. Je vous propose de revenir à un focus plus resserré autour de situations de classe plus précises  en regardant de plus près ce que  cet élève

– Peut  faire ou ne pas faire

– Sait ou ne sait pas

– Sait faire ou ne sait pas faire

– Veut faire ou ne veut pas faire.

Ces items se complètent d’abord dans une activité donnée, puis une autre …. avant de pouvoir aller vers une généralisation plus grande. En quelque sorte, ce serait notre « diagnostic » pédagogique qui correspondra aux situations de la classe et permettra d’ajuster les aides et de mieux voir si elles sont indispensables ( s’il ne peut pas sans aide!) . Ce qui vous libérera de ce dilemme…est-ce juste ? et vous permettra de mieux comprendre le fonctionnement de l’élève.

A vous de tester: https://view.genial.ly/62506b8b21aeac001771f2e6/interactive-content-diagnostic-pedagogique

• Parlez nous de votre rentrée !

Le site vous proposait en cette rentrée 2019 de nous faire part des situations rencontrées par un court questionnaire en ligne.
Les questions portaient sur la question des progrès ou difficultés rencontrées particulièrement cette année avec la mise en place des Pôles inclusifs d’accompagnement localisés et les effets éventuels de la circulaire de rentrée intitulée «  L’école inclusive »

Vous avez été 12 personnes à nous répondre et soyez-en remerciés. Nous aurions bien sûr souhaité avoir davantage de réponses afin de pouvoir mesurer de façon plus significative la réalité de cette rentrée. Cependant vos réponses disent aussi vos réalités et cela est important.

Lire la suite…

• Chasseurs d’images (d’inclusion)

L’éducation inclusive  s’inscrit dans une société inclusive…

Photographie prise à Anglet, le long de la promenade côtière accessible en fauteuil, poussette, patins, tricycles,…

Au début du mois de mai 2018, alors que je randonnais au pays basque, j’ai dévié de mon chemin pour expérimenter un spot de parcours de santé, comme on en trouve de plus en plus aux abords des plages, des forêts et des parcs.

Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, parmi les autres, une machine de fitness adaptée aux personnes se déplaçant en fauteuil roulant, assortie de son mode d’emploi…

Ce bel exemple d’inclusion sportive me donne l’idée de lancer ce partage sur notre site.
Comme l’an passé, nous vous invitons donc à profiter de cet été 2019 pour diffuser de belles initiatives d’inclusion au fil de nos promenades en ville, à la campagne, à la mer ou à la montagne …

Alors… à vos appareils photos, smartphones ou tablettes et envoyez-les en indiquant le lieu de prise de vue sur l’adresse images@versunecoleinclusive.fr

Retrouvez les photos partagées sur cette page.

Bonnes vacances
Bénédicte Dubois

Photographie prise à Anglet, le long de la promenade côtière accessible en fauteuil, poussette, patins, tricycles,…

Photographie prise à Anglet, le long de la promenade côtière accessible en fauteuil, poussette, patins, tricycles,…

Photographie prise à Anglet, le long de la promenade côtière accessible en fauteuil, poussette, patins, tricycles,…

• Les mots avant gardistes des évolutions à venir ?

Les mots et expressions changent et peu à peu s’installent, se répandent, se remplacent, se parlent sans que nous ne mesurions forcément ce qu’ils contiennent vraiment. Ils portent en eux-mêmes, en avant garde des changements de représentations, de pratiques… De nouveaux mots peu à peu s’imposent, d’autres s’oublient.

Mais pour nous qui les utilisons, avons-nous toujours conscience de tout ce qu’ils contiennent ? Ne les détournons-nous pas pour les cantonner à nos territoires de pensées connus ? Au final, nous ne les laissons pas agir vraiment et porter les changements qu’ils contiennent.

Ainsi, par exemple, intégration et inclusion, handicap et besoin éducatif particulier, école inclusive et éducation inclusive …

  • Intégration, inclusion… A l’école élémentaire, les classes de perfectionnement deviennent des CLIS (Classe d’intégration scolaire) en 2002, et des ULIS (Unités localisée pour l’inclusion scolaire) en 2015.Les élèves en situation de handicap peuvent être « intégrés » en classe ordinaire, ou en CLIS, selon la bonne volonté des équipes enseignantes et c’est à l’enfant de s’adapter à l’école. L’ULIS marque le passage fort de lieux séparés et plus ou moins fermés dans l’école à un dispositif souple, ouvert. La CLIS traite les difficultés, répare, permet à l’élève de s’adapter à l’école. Elle est comme une structure qui marque cette logique encore à l’œuvre de la séparation, et de la réparation.  L’ULIS doit apporter des ressources aux enseignants, aux éducateurs, aux élèves pour que ceux-ci puissent participer au mieux aux activités proposées au sein du groupe classe. L’ULIS doit faciliter l’inclusion globale de l’élève qui a des besoins éducatifs particuliers. Il ne s’agit pas seulement de réaliser des « inclusions » dans la classe de référence par doses plus ou moins grandes en fonction des possibilités de l’élève ou de l’acceptation par les enseignants des demandes du coordonnateur. Il s’agit de concevoir les aides les plus ajustées aux besoins de l’élève dans les différentes situations rencontrées au cours d’une journée de classe, d’une année d’école. Les enseignants font toujours au mieux dans le système dans lequel ils sont. Certains précurseurs, analysant leurs pratiques et voyant les dérives, tentent de faire advenir de nouvelles pratiques qui sont interrogées par les chercheurs et conduisent à des changements profonds… Ce sont les pratiques dans un contexte donné qui amènent les évolutions d’idées et d’aspirations. Loin de moi l’idée de critiquer ce qui a été proposé pendant un temps aux enfants des CLIS ; mais la question est celle du changement et des résistances qui se développent, cultivent des nostalgies et ne comprennent pas les mots qui portent ces évolutions. Ainsi avec le mot inclusion, le sigle ULIS, d’autres mots émergent tout aussi importants tels que participation, aides, accessibilité.
  • L’école inclusive est cette école qui scolarise tous les élèves, et tente de développer des situations d’enseignement/apprentissage qui favorisent la participation de tous en mobilisant au mieux toutes les ressources, celles de l’élève lui-même, des élèves, des enseignants pour que chacun développe au mieux son potentiel et puisse à terme trouver sa place dans une société devenue inclusive. Il n’y a plus un enseignant par classe, ou un enseignant par matière, mais une équipe responsable de la participation de tous les élèves aux propositions éducatives et pédagogiques. Ce ne sont plus les ULIS, c’est Antoine qui est en 4eme et qui bénéficie des ressources que peut lui apporter le dispositif ULIS. L’école inclusive doit mettre en œuvre une éducation inclusive, qui est plus globale, qui considère chaque être humain au-delà de ses seules performances scolaires, ou plus tard professionnelles, qui prend en compte ses intérêts, ses talents particuliers, ses fragilités aussi. Si nous voulons effectivement développer au sein de l’école et de la société, une éducation inclusive, cela demande de reconnaître que les parents, les copains, les personnels médicaux, para-médicaux, les AESH (Assistant d’éducation pour les élèves en situation de Handicap) sont des acteurs à part entière de ce défi. Cela demande de réaliser que les seuls apprentissages « scolaires » contribuent avec d’autres situations à entretenir toujours le moteur de l’apprendre qui fonde l’être humain. Entendons-nous bien, apprendre, ici désigne toute situation vécue de laquelle je vais développer un nouveau savoir, savoir-faire ou savoir être… Et c’est bien dans ce développement que se construit chaque individu. Si les atteintes physiologiques, psychiques, relationnelles… sont très importantes, l’éducation inclusive vise à créer du développement, de la croissance en dehors des formats normatifs, en nous obligeant à regarder ailleurs et autrement la personne, à concevoir un environnement qui permette au sujet d’advenir tel qu’il est et aux autres personnes à vivre avec lui ou elle comme une personne. Nous le voyons, cela suppose de partager des valeurs humaines de respect, de dignité, de reconnaissance de l’altérité. L’éducation inclusive n’est pas uniquement là pour apporter un mieux-être aux enfants et aux personnes en situation de handicap mais bien pour éduquer chacun de nous à ce nouveau regard, à une autre façon d’entrer en relation, à nous permettre de vivre pleinement ces valeurs de fraternité, de fragilité partagée, et de création toujours renouvelée.

Véronique Poutoux, rédactrice en chef, 30 mars 2019.

 

• Être ensemble autour de l’élève

Que ce soit durant les différents conseils de classe, les équipes éducatives ou équipes de suivi de scolarisation, pour de nombreux élèves et leurs parents, l’inquiétude se fait sentir en cette période de l’année.

Que deviendra leur enfant l’année prochaine ? Une maman écrivait sur le site : Je ne comprends plus, on m’avait dit qu’il irait en 6eme ordinaire et puis maintenant on me dit qu’il faut qu’il aille en SEGPA.

De l’inquiétude, du désarroi, voire de l’angoisse… de part et d’autre: parents, enseignants et différents professionnels. La peur mutuelle ne peut être constructive. Que va-t-on dire, que va-t-on entendre ? Comment alors mieux préparer et vivre ces rencontres parfois cruciales ?

La première étape est sans doute de se rappeler que chacun est là non pour défendre son point de vue mais pour chercher ensemble ce qui sera le mieux pour le jeune. Cela suppose d’accepter d’être déplacé dans son jugement.

Que ce soit l’enseignant qui pensait à un changement d’établissement ; que ce soit le parent qui ne veut pas entendre parler d’une orientation dans l’enseignement professionnel alors que leur enfant a défini son projet ; que ce soit un autre professionnel qui ne voit pas les progrès réalisés au sein de la classe, au contact des autres enfants. Nous nous devons de prendre en compte les observations les plus précises de chacun des interlocuteurs dans les différentes situations, en classe, avec ses camarades, ses loisirs, son suivi médical… Nous nous devons aussi d’entendre ce que le jeune peut dire de son souhait, son projet.

il est souvent nécessaire de donner du temps car les représentations des uns et des autres peuvent fausser la réflexion. Que représente pour un parent un dispositif ULIS ou section Bac Pro ARCU, ou bac STMG ? Comment développer une plus grande compréhension de ce que vivent les parents, des projections nécessaires qu’ils construisent pour leur enfant.

Nous le voyons, ce travail nécessite des rencontres et non une seule, cela doit donc être anticipé. Il est aussi indispensable de veiller au vocabulaire employé et de s’assurer de la compréhension de chacun. Enfin, vouloir forcer une décision conduit à un ressenti qualifié parfois de « couperet » violent, qui ne pourra donc être partagé.

L’école n’est plus dans une attitude de surplomb et de toute puissance ; cela donne aux enseignants des occasions pour développer de belles qualités d’empathie, de compréhension mutuelle, d’ajustement du vocabulaire. Les parents seraient-ils devenus les nouveaux maitres du jeu et décisionnaires ? L’évolution conduit à développer des logiques d’acteurs et de partenaires et non plus des logiques d’assistanat… L’élève n’est plus un objet de soins mais un sujet. Il en est de même pour les parents et nous avons à reconnaître leur responsabilité pleine et entière dans l’accompagnement de leur enfant. Ainsi c’est bien dans une relation de confiance mutuelle, il faut s’en donner les conditions, espace, temps, que nous pouvons envisager ces rencontres comme des espaces de dialogue, de co- construction d’une décision que nous souhaitons être la meilleure. Cela n’exclut pas des désaccords, c’est même assez normal. Il convient alors de nommer ces désaccords… Sans pour autant en conclure que tout dialogue est interrompu… Pour le moment, notre désaccord porte sur…  Mais nous sommes d’accord sur … Pouvons-nous prévoir une prochaine rencontre …

L’école inclusive est une école des relations. Nous apprenons sans cesse des uns et des autres.

Il nous faut passer d’un campement de certitudes établies sur telle ou telle orientation à un espace ouvert de possibles parfois inattendus.


Véronique Poutoux, rédactrice en chef, 15 février 2019.

• A nous tous éducateurs, parents, enseignants…

A nous tous éducateurs, parents, enseignants… deux questions essentielles : Aimons-nous assez le monde ? Aimons-nous assez nos enfants ?

Il nous faut naviguer en plein brouillard dans cette période où le sentiment d’exclusion engendre colère et violence, où les réformes proposées ne sont pas vraiment lisibles et génèrent beaucoup d’angoisse chez les élèves, leurs familles, chez les enseignants et les équipes de direction. Comment rester confiants, engagés pour transformer les pratiques éducatives et pédagogiques avec les acteurs de terrain pour une école qui travaille à un vivre et apprendre ensemble et différents ? Comment continuer à aimer le monde dans lequel nous vivons ?

Les fossés entre les uns et les autres sont réels et conséquents… Des tranchées de la grande guerre  de 14/18 dont nos grands parents témoignaient, dans toutes leurs lettres, de l’atrocité vécue et de l’amour de leur famille et de la patrie, nous voilà à regarder en direct toutes ces explosions de violence dans nos villes qui opposent gilets jaunes, casseurs, et forces de l’ordre. Nous voilà pris à écouter des débats stériles qui montrent les clivages entre les élites politiques et technocrates, et les partisans d’un nouveau modèle économique qui concilie justice sociale, équité et  soin de notre planète. Nous voilà glacés sur place des images d’attentats diffusées en direct. Les hommes et femmes abattues le sont réellement. Nous sommes donc bien dans une guerre des exclusions, des uns contre les autres… Quand se retourneront tous ces dos à dos qui n’arrivent plus à se parler ? Jusqu’où irons-nous dans cette folie  de séparations , dans l’ouverture de toutes ces blessures  des différentes exclusions activées, réactivées, dans la multiplication de propos menaçants, diffamants…

Les macro systèmes, les institutions ne  jouent plus leur rôle de garantir un vivre ensemble. Faut-il y voir l’achèvement d’une société individualiste, de consommation, qui ne sait plus donner un sens à cette vie ?

Comment avoir une parole qui concilie, qui permette que la recherche du bien commun, la préservation d’un vivre ensemble assis sur une altérité devenue mature soit le moteur d’un projet de société à inventer ? Dans un projet pour les citoyens du monde que nous sommes appelés à être ?

Qui pense dans ce magma si confus à ce que ressentent, comprennent et vivent tous ces enfants, ces adolescents ? Que voient-ils de nos comportements adultes ? Quels impacts sur ce qu’ils sont entrain de construire ? Hannah Arendt écrivait  dès 1954 dans son ouvrage, la crise de la culture,

L’éducation est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assurer la responsabilité et, de plus le sauver de cette ruine qui ne serait inévitable sans ce renouvellement et sans cette arrivée de jeunes et de nouveaux venus. C’est également avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants  pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu, mais de les préparer à la tâche de renouveler un monde commun.

A nous tous éducateurs, parents, enseignants, elle nous pose deux questions essentielles: Aimons-nous assez le monde ? Aimons-nous assez nos enfants ? Il semble bien qu’aujourd’hui, nous n’aimions plus notre monde, nous sommes désemparés… Nous aimons nos enfants  et si le renouvellement de ce monde commun apparait bien comme l’urgence actuelle, comment alors les préparons-nous à cette tâche?  Si nous aimons suffisamment nos enfants, pouvons-nous protéger les plus jeunes de ces images ? Pouvons-nous dialoguer avec nos adolescents ? Pouvons-nous parler entre nous du sens que nous voulons donner à notre vie pour mieux aimer le monde ? Donnons- nous à vivre dans les lieux où nous sommes, d’autres exemples de projets partagés riches de nos diversités, justes et équitables ? Ces communautés de vie qui  sont actives dans de nombreuses écoles sont des lieux qui réconcilient l’amour du monde et l’amour des enfants, qui  ouvrent des possibles d’avenir. Elles sont des lieux qui n’abandonnent pas les enfants à eux-mêmes, qui leur apprennent à entreprendre  ensemble du beau, du neuf. Elles sont des graines d’espoir dans ce paysage si meurtri, graines d’espoir pour un renouvellement du monde.

Véronique Poutoux, rédactrice en chef, 12 décembre 2018.

L’école de la confiance, c’est par ici !

Il y a les discours des hommes, des femmes politiques sur l’école qui sont bâtis sur leur propre histoire scolaire qui induit leur propre conception de l’enseignement, sur leurs positions idéologiques liées à leur appartenance politique et leur souci toujours présent d’être compris. Concrètement, comment comprendre l’école , développer une vision  d’avenir et d’ajustement aux problématiques rencontrées, lorsque le passé scolaire de nos responsables politiques  n’a pas de passif, ni ne les ont conduit à être exclus du système scolaire ?

Pour certains, c’est si simple de faire cours, il suffit d’avoir de l’autorité, c’est le charisme de la personne qui intervient alors.

Pour d’autres, c’est si simple  de faire cours, il suffit de faire autorité ! C’est alors la maitrise du contenu qui suffit et répondra de toutes les situations ! Et pourtant ces deux dimensions, sans conteste essentielles, ne suffisent pas, et les enseignants  de nos écoles, collèges et lycées le savent bien. La tentation, nous la voyons actuellement complétement à l’œuvre, consiste à s’allier aux discours scientifiques et technologiques pour légitimer les politiques éducatives.

Comme ce serait rassurant de définir une école qui pourrait fonctionner comme une entreprise et éditer tous ces critères de rendement et d’efficacité qu’il suffirait ensuite de valider !

Comme ce serait rassurant de définir toutes les méthodes à suivre à la lettre par les enseignants, parce que les responsables politiques s’appuyant sur des connaissances scientifiques , qu’ils transforment pour la circonstance en données définitives, dicteraient les pratiques pédagogiques sans qu’aucun d’eux ne se soit essayé à tenir une classe d’enfants de maternelle plus d’une heure !

Pour le moment, il n’y a rien de rassurant que ce sentiment diffus de propositions  qui ne sont pas toujours fondées, de réformes qui se succèdent au gré des changements politiques et mettent bien à mal les acteurs et les usagers de l’école.

Comment penser que  l’humain, et l’éducation puissent se résoudre en protocoles ? Non,  le métier d’enseignant est bien situé dans l’observation, la recherche qualitative et créative de nouvelles propositions, de nouveaux chemins d’accès aux savoirs. Si les neurosciences cognitives nous fournissent des clés de compréhension dont nous ne  disposions pas, il y a encore quelques années, elles ne contiennent pas à elles seules tous les paramètres d’une progression d’un apprentissage à conduire auprès de 25 à 30élèves différents. Ce que ne disent ni les responsables politiques, ni les discours médiatiques, c’est la vie quotidienne de toutes ces classes, de tous ces élèves, de tous ces enseignants et de tous les acteurs de l’école qui travaillent à améliorer le climat scolaire, à mettre en œuvre des pratiques de coopération, à prendre en compte les besoins spécifiques de certains élèves ; qui  préparent consciencieusement les activités à proposer pour « accrocher » le désir d’apprendre ensemble , de réussir ensemble sans laisser personne de côté. De plus en plus d’enseignants, sont bien en prise avec le réel des classes, les défis qu’ils ont à relever et qui rendent le métier passionnant quand on le connaît de l’intérieur.

Nos élites politiques maintiennent, à leur avantage, le  paradoxe entre la vision d’une école élitiste ( qui permet de dégager l’élite) et la vison d’une école égalitaire, sans avoir compris que l’école inclusive, telle que nous la définissons,  travaille au développement de tous les potentiels et surtout ne produirait plus autant d’élèves exclus , ne favoriserait pas des sociétés à plusieurs vitesses. La superbe complexité qui nous est donnée dans une mutation si polymorphe devrait nous obliger à poser un vrai projet collectif d’éducation globale qui donne la direction, qui ferait « confiance » vraiment aux acteurs du quotidien et qui mettrait en œuvre des dispositifs d’accompagnement des équipes travaillant avec elles à partir de leurs questions rencontrées.

C’est peut être ainsi que pourrait se construire « l’école de la confiance « pour notre pays ?

Mais déjà, ici et là, cette école existe parce que des équipes, confrontées à des défis qu’elles voulaient relever, ont monté des projets d’alliance éducative, de recherche pédagogique, de créativité. Ces écoles avancent sans faire grand bruit avec cette passion à enseigner, cette joie de la présence auprès des élèves et du travail mené ensemble, ce désir de transformer leurs vieilles salles de classe et de dépoussiérer leurs formats pédagogiques.

Véronique Poutoux, rédactrice en chef, le 18 octobre 2018.

 

Photo prise à l’atelier des Lumières Paris . Exposition/Immersion dans Hundertwasser.

• Noam est d’abord un garçon, un élève…

Nous entendons encore parler des élèves ainsi : les Ulis, les handicapés, les BEP… Nous avions entendu d’autres termes, idiots, débiles, imbéciles… termes datant du 18ème ou 19ème et qui ont continué à résonner dans différents lieux. Ces raccourcis témoignent des relations que nous établissons avec des personnes, des élèves, des enfants qui présentent un déficit d’autonomie dans leur vie quotidienne.

Pouvons-nous enfin accorder notre expression aux fondamentaux anthropologiques qui distinguent tout homme d’un objet, qui ne nous autorisent pas à réduire une personne à une catégorie ?

 

 

SI la publicité suivante cherche bien à récolter des fonds pour la recherche, l’entrée par le trouble de Noam nous empêche de voir que Noam est d’abord un garçon, un élève en CE2… pour qui l’équipe va trouver des aides pour lui permettre de suivre au mieux la vie de sa classe en développant son autonomie….

 

Les 2 nouveaux termes que j’entends actuellement sont « les Ulis » ou les « BEP » ! Quel étrange raccourci ! Quelle paresse de notre part !

Or, il s’agit d’élèves qui ne sont pas complétement autonomes dans leur vie quotidienne et dans les apprentissages qu’ils vont construire à l’école. Prenons donc la peine d’accorder notre langage au respect de la dignité de chacun et parlons de cet élève qui est en 4eme et qui va par moments en Ulis, de cet élève qui est aidé dans sa classe par son enseignant, d’autres élèves…

Ces besoins d’aides, qu’elle qu’en soit l’origine, peuvent se produire à n’importe quel moment de la scolarité, ou exister tout au long de la scolarité ; ils peuvent être plus ou moins importants, nécessiter différents types d’aides. En fait, il nous faut penser la question de l’autonomie de l’élève et envisager les aides en vue d’une amélioration de cette autonomie. Un élève qui a des besoins éducatifs particuliers a donc des besoins d’aides, variables et différents dans le temps et suivant les lieux. Il nous faut bien interroger leur pertinence et leur maintien. Les équipes de suivi de scolarisation, ou les équipes éducatives doivent bien prendre en compte cette question en vue de faire évoluer les différents projets individuels ou aménagements. Il nous faut aussi entendre le point de vue de l’élève et de sa famille. En particulier, nous pouvons aussi être devant des situations difficiles quand l’élève ne veut plus d’aides. Comment là aussi, entendons-nous son expression ? Comment la prenons-nous en compte ? Restons-nous dans une attitude d ’emprise de par notre statut de professionnel ou accompagnons-nous le sujet dans le respect de son choix ? Nous touchons là, cette question de l’éthique relationnelle au sein de l’école, au sein des classes, dans les partenariats…

Le changement de paradigme de cette éducation inclusive, appelle cette réflexion et ce respect du sujet, de chacun des sujets ; nécessite aussi notre vigilance dans notre façon de parler et notre analyse pertinente pour adapter au mieux les aides en fonction des différents contextes présents au sein de l’école.

Véronique Poutoux, rédactrice en chef, le 6 juin 2018.