L’histoire de l’éducation et plus particulièrement celle de l’enseignement spécialisé, nous montre combien le temps du changement en éducation est lent… Comme si dans cette institution, la nostalgie de ce qui s’est toujours fait devait guider l’action. Il nous faut encore revenir aux fameux « fondamentaux », les renforcer, et être guidés pas à pas dans l’action quotidienne du métier ! La logique médicale est toujours très présente répondant à cette demande forte de poser des diagnostics pour concevoir les aides et aménagements. L’idée d’un « à part spécialisé » dans l’école ou en dehors reste toujours présent dans les imaginaires. Comment ignorer à un tel point les terrains si divers de notre « École » ? Ces nouvelles injonctions parues début janvier ne reconnaissent pas les enseignants comme des « concepteurs pédagogiques » ; elles vont aussi à l’encontre de l’école inclusive.
A l’encontre du métier d’enseignant concepteur … Si chaque journée doit se baliser en suivant pas à pas les consignes données, il n’est peut-être alors plus nécessaire de former des enseignants à Bac+5 ? Les enseignants ne se préoccupent-ils pas du lire écrire, compter ? Est-ce l’abandon définitif de l’enseignant praticien réflexif ? Capable de réajuster, d’analyser les propositions et de concevoir au mieux les propositions pédagogiques ?
A l’encontre de l’école inclusive … En effet, si nous avons pour tous les élèves des ambitions dans les apprentissages, il faudrait se poser la question de priorités à définir en fonction des capabilités des élèves. Pour certains ce « gavage » de savoirs fondamentaux peut conduire à une auto-exclusion très destructrice. Si la pédagogie du détour a été critiquée, il y a dans cette approche la notion de conduire l’élève vers une posture de questionneur, de chercheur en prenant des chemins un peu différents… C’est occulter complétement que le développement des enfants est très variable de l’un à l’autre, que les rythmes d’apprentissage le sont tout autant…
Pourquoi les vraies questions ne sont-elles pas posées pour une grande transformation voulue par le conseil national de la refondation ? Qu’est ce qui est justement fondamental pour notre temps ?
Les moyennes sont mortifères : un nombre d’élèves trop élevé par classe est un frein à l’école inclusive et au suivi des enfants par leurs enseignants alors que la démographie baisse ? L’organisation de l’école en classes d’âge n’est pas interrogée ?
Nous ne questionnons pas non plus les « devoirs donnés à la maison. » Les propositions consistent à diminuer les effets discriminants de cette pratique. Car si le « politique » entretient ce type de discours, il répond sans aucun doute à une demande, qu’elle vienne des parents, ou même des enseignants…
Les instances de concertation locales vont-elles envisager de vrais projets d’éducation « nouvelle » pour ce temps de grande mutation ? Les pédagogies « nouvelles » de la fin du 19eme siècle, début du 20eme travaillaient à une éducation intégrale où l’on apprend à penser par soi-même, à développer son être sensible, à être en relation avec d’autres, à mener des projets avec d’autres …
Qu’est ce qui est mis en avant ? malgré des discours paradoxaux … Une sur individualisation, une sur évaluation (toujours évaluer piloter par les chiffres, quand apprend-on ?) une sur catégorisation des difficultés médicalisées … La vision de cette école est bien triste mais heureusement dans le quotidien des classes pourtant difficile, la vie est là et chaque jour apporte ses surprises, ses mots d’élèves qui mettent de la joie, ses drames qui mettent au cœur la densité humaine. Je pense à ces suicides récents de si jeunes adolescents qui viennent chacun nous bousculer et interroger le sens de la vie, la possibilité d’exister dans tout son être singulier à l’école. L’école inclusive bouscule l’idéal académique. Est-ce la seule voie d’accès à une culture partagée ?
Finalement la démarche de transformation doit interroger la visée, le projet commun pour notre monde. Voulons-nous aller vers un monde atomisé, clivé ou vers une société inclusive construite sur la reconnaissance de l’égale dignité de chaque personne, la possibilité pour chacun de prendre sa place, la mise en valeurs de talents divers.
Cette transformation devrait se mettre à l’écoute des terrains si divers, valoriser l’existant, accompagner au plus près les équipes, créer un collectif structurant pour les enfants. Cela repose sur la confiance faite aux enseignants, faite aux chefs d’établissements et à une vraie communauté éducative capable de retisser de l’altérité, de la solidarité, exerçant une responsabilité partagée pour éduquer.
Il n’y a pas que les savoirs fondamentaux, il y a une transformation fondamentale à mener !
Que l’année 2023 ouvre de nouvelles portes vers une vraie transformation de l’école ! Que tous ceux et celles qui empruntent déjà de nouveaux chemins, osent en faire le récit et montrer ainsi d’autres possibles.
Véronique Poutoux, janvier 2023.