Par trois fois cette semaine, ces propos m’ont saisie : « Cet enfant-là n’a pas sa place dans l’école ! … Il a un comportement trop difficile à gérer … Elle ne suit déjà plus le rythme de la classe … Il a trop de lacunes, ne peut pas écrire, ne lit pas … »
Les anciennes représentations liées à l’enseignement spécialisé sont toujours actives et conduisent à imaginer qu’il y aurait quelque part une structure qui serait sur mesure pour cet enfant qui n’a pas sa place en classe. Or, si les établissements spécialisés, sont bien présents sur le territoire, ils sont aujourd’hui conviés à un travail de synergie avec les établissements scolaires. Les solutions ne sont donc pas si binaires. Comment développer des scolarités plus modulables en fonction des besoins réels de l’enfant suivant son évolution (qu’elle soit positive ou plus problématique) ? Comment accompagner les enseignants dans des situations certes difficiles lorsque le nombre d’élèves est important et que de nombreuses diversités sont présentes ?
Voici quelques réflexions que je partage :
- Peut-on raisonnablement penser que mettre à part et ensemble dans un même lieu des enfants avec des troubles du comportement leur soit favorable, même si les moyens humains sont plus spécialisés et nombreux, à vérifier cependant ? Ces enfants aux comportements perturbants nous renvoient une certaine impuissance et une souffrance de toute part, celle de l’enfant en premier lieu, de ses parents, de son ou de ses enseignants. Les réponses doivent à la fois composer une prise en compte plus personnalisée avec des exigences différenciées, des aménagements et adaptations au sein de la classe, mais elles doivent aussi être plus systémiques dans ce micro environnement qu’est une école, un lieu scolaire… la coresponsabilité effective des adultes de l’établissement, l’analyse de la situation conduisant au repérage des éléments déclencheurs, des pratiques de régulation avec les autres élèves peuvent déjà apporter un environnement plus adapté. Le travail de partenariat se construit en complément et avec l’équipe éducative et les parents.
- Tous ces enfants avec leurs besoins spécifiques exigent de nous, une nouvelle manière de concevoir et d’exercer le métier. Nous devons développer des compétences autres. Compétences relationnelles, avec les familles, les collègues, les partenaires, les élèves… Compétences pédagogiques pour prendre en compte des rythmes différents ( si la progression d’acquisition des sons en lecture, en CP, n’intègre pas le fait que certains enfants, reconnus ou pas par la MDPH, mettent plus de temps à ces acquisitions… par exemple), pour prévoir des accès variés aux situations proposées ( supports, oral et/ou écrit, texte allégé, schéma …). Compétences didactiques, pour mieux repérer les obstacles contenus dans l’apprentissage lui-même, et concevoir ainsi des chemins rendus accessibles.
- Tout cela interroge la capacité de la société à être plus inclusive. Ce projet-là, qui prend en compte notre humanité et notre société si diverse, est-il partagé ? Que dire de la question des effectifs des classes ? Comment mieux les ajuster en fonction des besoins réels, oui cela complexifie certes la gestion des flux ? Les AESH, présents auprès de ces enfants, ne compensent pas le fait que l’enseignant a dans sa classe aussi 29, 32 ou 35 autres élèves. Là encore les logiques économiques, institutionnelles s’opposent aux situations des acteurs de terrain.
- Enfin tout devrait nous inviter à penser autrement l’accompagnement des enseignants, des directeurs, sur leur terrain et dans des protocoles bienveillants pour chercher ensemble ce qui peut être proposé.
Je ne voudrais plus entendre cette phrase : « Il n’a pas sa place ici » mais plutôt : » Je me sens en difficulté avec cet enfant, j’ai besoin d’aide … Nous ne savons plus que faire dans cette situation « .
Ces phrases pourraient être prononcées par l’enseignant ou le directeur, tout acteur qui aurait la certitude d’être entendu, accompagné dans une réponse simple, concrète qui ne nécessiterait pas un dédale administratif et ne ressemblerait pas à un mauvais jeu de ping-pong !
N’oublions pas : nous vivons à tous les niveaux des changements majeurs, qui nécessitent tâtonnement, ajustement réciproque entre les acteurs, nous déstabilisent tant la vision reste parfois brouillée, au point de conduire des collègues sur d’autres rives inconnues (nous n’oublions pas ce récent suicide d’une collègue directrice) …
N’est-ce pas une nouvelle école qui va se développer, qui se sera éloignée de la norme enfermante, qui aura inventé des passerelles et des parcours diversifiés selon des rythmes différents ?
N’est-ce pas une nouvelle école devenue nécessaire qui aura repensé les formats pédagogiques, qui assumera une responsabilité partagée entre enseignants, qui assurera une formation privilégiant le travail au plus près des équipes et de leurs questions ?
Véronique Poutoux, rédactrice en chef, 29 septembre 2019.
Moi aussi je l’entends « certains enfants n’ont pas leur place à l’école », ce sont des paroles dites par des enseignants, des atsem et parfois même par des personnes du rased… Pourtant, quelle est l’idéologie qui a poussé l’équipe éducative de l’école, où je travaille comme aesh, à regrouper dans la même classe 6 élèves en situation de handicap ? 3 d’entre eux sont suivis en accompagnement individuel et ont des troubles du comportement, les 3 autres ont depuis la rentrée une notification pour un accompagnement mutualisé mais ne bénéficieront pas d’accompagnant car, nous les aesh qui travaillons dans cette classe, avons 10 heures « à disponibilités » et il faudra faire avec. De toute manière, le Département, nous dit une personne du rased, n’embauche plus d’aesh, et comment l’enseignante peut elle mesurer ce qui serait nécessaire pour chacun ? Peut être que si un des 3 posait des problèmes de comportement (et c’est le cas) cela ferait avancer la prise en compte de son handicap ? mais sinon ? Il faut que je précise que dans cette école rurale il y a 3 autres classes et qu’aucune n’accueille d’élève en situation de handicap, et donc que les classes auraient pu être pensées différemment… Nous sommes le 10 octobre, j’ai 8 ans de métier et jamais je n’ai été aussi épuisée …
Effectivement, ce que vous décrivez semble bien compliqué… Plutôt que de parler d’une idéologie derrière ce choix d’organisation, n’y a-t-il pas d’autres raisons à ce choix? Comment peut-on l’interroger avec l’ensemble de l’équipe ? L’aide mutualisée peut aussi avoir du bon mais elle oblige à s’organiser autrement avec l’enseignant-e-
Bon courage à vous.