Si la question de l’école a été présente dans la campagne présidentielle, elle s’est déclinée sur la question des apprentissages fondamentaux, de l’annulation ou de l’aménagement des réformes en cours, de la libéralisation, de l’autonomie des établissements, de la place de l’apprentissage et de l’alternance, de l’augmentation ou de la réduction des moyens, du nombre d’élèves par classe…mais avons-nous vu un projet global d’éducation ? Pour définir un tel projet, il est nécessaire de revenir à une vision partagée de l’être humain, de son développement et de ce que l’on veut promouvoir pour vivre et apprendre ensemble, semblables et différents. Cela semble difficile car nous sommes divisés, nous ne voyons pas clairs, nous pouvons avoir la tentation de reproduire les modèles anciens … Or nous vivons dans une époque de grande mutation passionnante, complexe.
Dans les évolutions actuelles la mondialisation renforce le besoin d’identité et peut créer des communautarismes qui enferment mais nous transforme en citoyens du monde capables de prendre soin de notre « maison commune » ; l’individualisme nous fait voir avant tout notre petit pré carré et pourtant, nous avons montré combien nous étions solidaires face aux conséquences des attaques terroristes en France mais aussi avec les événements qui se produisent ailleurs ; l’hyper-spécialisation produit de nouvelles connaissances extraordinaires mais le besoin est déjà là de faire des ponts, de les relier ensemble pour avoir aussi une vision plus globale des différents mystères qui demeurent autour de notre planète, de l’être humain… et nous conduit à redire aussi que nous ne savons pas tout, à reconnaître donc nos limites. La recherche de compétitivité transforme les compétences de base attendues des futurs travailleurs, elles sont devenues plus complexes et mettent à mal ceux qui pour différentes raisons ne les maitriseront pas, mais les personnes handicapées ont montré qu’elles apportaient d’autres types de compétences utiles et appréciées dans les entreprises. Les rapports au temps et à l’espace se sont modifiés, agrandissement, vision plus large d’un côté et accélération, immédiateté de l’autre. L’information est presque à portée de tout un chacun sur tous les lieux mais peut se transformer aussi vite en arme de désinformation… De plus en plus de voix s’élèvent pour parler de l’ »ici et maintenant « comme d’une nouvelle base pour vivre mieux dans une conscience plus affinée de sa présence au monde, à l’autre…
Pouvons-nous nier ces évolutions et continuer à penser l’école dans ces anciennes formes nostalgiques ? A quelle école tenons-nous ? Quelle école pouvons-nous aussi rêver qui contribue à construire le monde de demain ?
Si nous parlons d’apprentissages fondamentaux, s’agit-il seulement de la lecture, des mathématiques ? Déjà là, nous ne sommes pas d’accord ! Pouvons-nous plutôt réfléchir aux besoins fondamentaux des enfants ? Des plus jeunes aux plus âgés…Les apports de la psychologie du développement mais aussi sociale apportent des éléments, de même que les neuro connaissances qui nous disent l’importance du sentiment de sécurité, de la place des émotions, de la compréhension par l’adulte des ressentis de l’enfant… Tout cela c’est contribuer au bien-être de l’enfant, des enfants entre eux. Cela passe par des conditions matérielles respectueuses de ces besoins, par la qualité relationnelle dont les enseignants font preuve avec les enfants mais aussi avec leurs parents, sans jugement de surplomb… Quel projet d’éducation voulons-nous, celui d’une école accueillante, bienveillante, respectueuse des besoins des enfants ? Qui construise des adultes sachant exprimer leurs émotions et leurs différents, sans violence ? Qui soient attentifs aux autres et sachent dialoguer ?
Si nous parlons d’individualisme et de compétitivité, nous pouvons explorer la richesse de toutes ces diversités et rechercher comment elles peuvent se combiner pour des coopérations fructueuses au sein des classes. Une ambiance de classe se construit-elle sur un but commun qui permette le développement de chacun ou vise-t-elle à désigner les meilleurs, et à renvoyer les autres dans des zones de décrochage ? Quel projet d’éducation voulons-nous ? Celui d’une école de la coopération qui vise un vivre ensemble respectueux des sujets, qui forme de futurs adultes capables de travailler en équipe en s’appuyant sur une diversité de compétences.
Si nous parlons d’hyper spécialisation, nous pouvons explorer les démarches méthodologiques de vérification des sources, de pertinence des informations, mais aussi proposer des approches transdisciplinaires qui sur la base de projets permettent une appropriation réelle de certains savoirs et surtout de démarches transversales utiles pour la vie future. Quel projet d’éducation voulons-nous ? Celui d’une école qui interroge les implicites, qui quitte ses évidences et qui met en projet les équipes et les jeunes, créant ainsi le besoin de connaissances et de méthodes, sollicitant des capacités de vivre ensemble et de créativité.
Si nous parlons de l’évolution numérique et des risques encourus, nous pouvons explorer les possibilités données en termes d’accessibilité, de recherche d’information, d’attractivité ludique et de qualité. Nous pouvons aussi interroger les formats pédagogiques traditionnels, pour inventer de nouvelles modularités de groupements d’élèves, de types d’activités différentes. Nous pouvons aussi explorer, dans un mouvement d’équilibre, les zones plus sensibles, le besoin de temps d’arrêt et d’intériorité entrainant ainsi les capacités d’attention et de création. Quel projet d’éducation voulons-nous ? Celui d’une école qui est entrée de plein pied dans le XXIème siècle, qui articule nouveaux outils, nouveaux formats pédagogiques qui quittent le cadre enfermant de la classe d’âge et qui ouvrent le chemin de la connaissance de soi, chemin vers l’autre, vers l’acceptation de nos diversités.
Certains choix politiques poussent à la division, et aux discriminations. Nous nous situons clairement dans un projet où la diversité est appréhendée comme notre richesse commune et comme nous obligeant à relever tous ces nouveaux défis pour construire une école de l’altérité. Les équipes sont porteuses de leurs propres convictions et du projet qu’elles veulent donner à leur établissement. Un collectif d’adultes engagés, qui met en avant la cohérence éducative et pédagogique, donne à l’établissement un cadre sécurisant pour les jeunes et engendre une dynamique pour l’avenir.
Oui, il nous faut oser transformer l’école, là où nous sommes, en espérant que les choix politiques ne l’enfermeront pas dans un passé mortifère.
Véronique Poutoux, rédactrice en chef, 27 avril 2017.