Les brouillards font leur apparition en ce mois de novembre ! Vous me direz, c’est la saison ! et vous aurez raison. Mais je parle de ce brouillard qui semble s’épaissir dans notre vie politique, démocratique et institutionnelle. La visibilité est bien réduite quant aux directions éducatives à prendre. Les dernières réformes peinent à se mettre en place, ou sont reportées … Mais elles n’étaient pas très inclusives. Dans le brouillard, il vaut mieux ralentir et prendre le temps de faire ce qu’on a à faire, au plus près des réalités de terrain… et avancer doucement quelques changements dont personne ne parlera mais qui pourtant préfigurent déjà des évolutions.
En effet, il me semble que dans ce silence incroyable sur l’école, sur la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, quelques textes ou annonces paraissent, porteurs d’idées dessinant un nouveau paradigme qui met en avant la logique environnementale et veut créer, en combinant les ressources des différents acteurs, des environnements collaboratifs, accessibles et porteurs de développement pour tous et pour chacun.
Voici quelques indices et les questions qui en découlent:
- Il y a bien un virage inclusif pour les établissements médico-sociaux que ce soit dans les services aux adultes ou pour les enfants, et dans ce cas en lien avec l’école. Le déploiement des EMAS( équipes mobiles d’appui à la scolarité) auprès des équipes enseignantes, le développement des Unités externalisées… Quelles réponses concrètes vont-elles être données en termes d’accueil mais aussi de nouvelles configurations des relations interprofessionnelles dans les écoles ? Comment faire évoluer encore les regards sur ces jeunes qui peuvent nous troubler, nous et les élèves ? Comment articuler les actions pédagogiques des UE avec celles des classes ? Comment ne pas recréer « un à part spécialisé au sein des établissements scolaires » ? Ces questions s’adressent aux responsables institutionnels des différents niveaux pour permettre une vraie démarche de vie citoyenne et participative pour tous. Elle s’adresse aussi aux enseignants, aux acteurs médico-sociaux qui vont devoir dépasser les anciennes représentations mutuelles sur les métiers et accepter d’évoluer dans leurs pratiques respectives.
- La conférence nationale du handicap qui s’est tenue en avril 2023 s’intitulait « Un acte II de l’école inclusive engagé » et annonçait 12 mesures à mettre en œuvre pour les années 2023-2026. Nous soulignerons ici l’importance de l’attribution d’un identifiant national élève à tout enfant. Mesure administrative mais combien symbolique. De même, la transformation des PIAL en PAS et l’évolution du métier d’AESH vers celui d’accompagnant à la réussite éducative montrent une volonté de ne plus être seulement dans une logique de compensation individuelle mais indique un mouvement vers la logique environnementale d’accessibilité. Or tous ne veulent pas de cette évolution qui interroge les environnements et demande à dépasser les seules logiques si individualistes de compensation, de droit à. Nous n’avons pas seulement à porter un regard et des gestes plus compatissants. Nous avons à nous reconnaitre semblables dans nos fragilités, plus ou moins importantes, mais qui nous obligent à quitter les zones de confort habituelles, pour construire un dessein, un destin commun. Quand la responsabilité première est de droit commun et revient donc à l’éducation nationale, cela interroge les moyens donnés pour et les ressources humaines. Avons-nous des responsables convaincus de ces intentions ? Quels dispositifs de formation et d’accompagnement des équipes de terrain seront-ils proposés ? Quel accompagnement de terrain, avec quels professionnels seront proposés aux enseignants ? Accompagnement de terrain : proximité, régularité, disponibilité et compétences de l’accompagnant ? Valoriser les temps de coordination… Bien sûr. Peut-être faut-il déjà reconnaître cette nécessité ! Et ensuite affecter un temps institué et non bricolé ! Accompagner les équipes sur la méthodologie du travail partagé… cadre, rôles, objets, prises de décision…
- La Conception Universelle des Apprentissages, CUA, fait la une de nombreux articles, de vidéos explicatives, de conférences … Tout en se gardant bien d’un effet de mode, est-ce à dire que la recherche d’accessibilité devient enfin une priorité, à tous les niveaux : bâti, circulation, transports, pédagogique et éducative ? Pour autant, comment relier dans le quotidien des enseignants cet effort réel de ces dernières années en termes d’adaptations et de différenciation pédagogique à cette approche de la CUA ? Comment accompagner au plus près l’analyse des pratiques pédagogiques, avec quels moyens et quelles compétences ? Revenir au cœur du métier en le déstabilisant un peu mais avec bienveillance et souci de recherche mutuelle et de créativité pédagogique. Car nous devons avancer sur les propositions de chemins différents pour accéder aux notions travaillées. Nous devons intégrer au quotidien les données des neurosciences cognitives et améliorer notre compréhension des processus en jeu. Nous avons à proposer des modalités d’accès à l’information et à l’expression différentes. Notre école si académique (avec son côté si élitiste) peut-elle l’accepter ? Nous pouvons proposer des aides à tous et cela semble interroger encore certains enseignants, certains parents.
- Notre premier Ministre, Michel Barnier, a annoncé sa volonté de promulguer une nouvelle loi handicap. Le Comité national Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) met en place une consultation citoyenne afin d’apporter des éléments à la construction de cette nouvelle loi. Cette consultation est ouverte jusqu’au 31 janvier 2025. Une occasion de réfléchir et de contribuer à de nouvelles propositions pour rendre notre école accessible à tous.
Alors quels sont les obstacles à lever et les changements possibles pour vraiment engager l’acte II de l’école inclusive ?
– Au niveau des acteurs : chefs d’établissement, enseignants, élèves, parents …
- D’abord des changements de représentations sur notre manière de penser le handicap, de concevoir les fragilités d’apprendre non plus sous le seul regard médical mais bien sur le rapport entre les limitations et les obstacles rencontrés par des élèves en situation scolaire. L’évolution des outils numériques est un apport extraordinaire en termes de compensations possibles, mais attention à bien l’intégrer dans cette logique d’accessibilité pour tous.
- Accepter l’idée que des élèves ne « peuvent pas lire » ou ne peuvent pas parler » ou ne peuvent pas écrire » et que pour autant, cela ne signifie pas qu’ils ne peuvent pas participer à leur manière aux activités pédagogiques proposées à condition de proposer différents chemins et différentes modalités d’expression qui seront peut-être utiles à d’autres.
- Nous avons été marqués en profondeur, et c’était sans doute un passage obligé, par l’approche compensatoire individualisée des aides à proposer. Nous ne pouvons continuer sur cette voie systématique sans peu à peu intégrer la logique d’accessibilité pédagogique qui permet de concevoir les obstacles présents et les aides possibles à proposer à tous.
- Privilégier les accompagnements de terrain, réguliers pensés avec les enseignants de façon stratégique. Tirer profit des journées pédagogiques pour mettre en place ce travail de retour au cœur du métier, d’analyse des situations pédagogiques et éducatives.
– Au niveau institutionnel :
- Notre école française est très académique, donnant la priorité au lire/écrire même si une prise de conscience a eu lieu quant à l’importance de l’expression orale. Comment revisiter les programmes pour notre monde d’aujourd’hui, complexe, multiculturel, hyper connecté ? …
- Cesser de vouloir faire des enseignants et des élèves, des exécutants de méthodes labellisées à appliquer. Chaque situation de classe est remplie d’imprévus qui ne peuvent rentrer dans des protocoles élaborés en vase clos. Parions sur l’intelligence des enseignants et des équipes et donnons-leur les moyens de travailler sans les bombarder sans cesse de réformes contradictoires.
- Dans le même temps, nous avons une baisse démographique importante, et pourtant les effectifs dans les classes, donnés en termes de moyenne, ne disent rien des situations rencontrées… Comment engager l’acte II de l’école inclusive sans donner une limite des effectifs par classe, en fonction des contextes et des niveaux ?
Il n’y a pas à dire, nous avons là un défi passionnant à relever. Notre époque est terrible, si obscure par moments, mais elle engage des changements importants que nous ne pourrons réaliser qu’ensemble, en acceptant de quitter ce qu’on » a toujours fait », ce qui « est normal», pour imaginer de vraies voies d’accessibilité porteuses d’une humanité revivifiée, fraternelle.
Véronique POUTOUX, 3 novembre 2024.