2005-2025 ! Anniversaire des 20 ans de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Occasion de regarder en arrière, occasion de projeter ce qui doit continuer de progresser !
Alors que voyons-nous dans le rétroviseur ?
Qu’avons-nous appris, développé pendant ces 20 ANS ?
Nous avons réfléchi pour comprendre les enjeux, modifier nos représentations sur le handicap et les difficultés d’apprendre, pour transformer les pratiques… les rendre plus personnalisées, plus inclusives.
Nous avons élaboré une nouvelle sémantique : BEP, ULIS, PPS, PAP, AESH, GEVASCO… et aussi Ressource, dispositif… Mots à définir d’abord, puis à intégrer, puis à questionner à nouveau.
Nous avons appris à accueillir dans les classes des élèves qui nous ont surpris, étonnés, interrogés parfois découragés. Nous avons découvert toutes ces différences de profils d’apprenants en cherchant à ne pas stigmatiser.
Nous avons cherché à mieux comprendre les processus cognitifs et leurs étonnantes modalités particulières de traitement de l’information, de mémorisation, de restitution. Nous avons mesuré l’importance des compétences psycho sociales dans le vivre et apprendre ensemble.
Nous avons mis en œuvre des projets personnalisés, des compensations avec des aides humaines, techniques.
Nous avons adapté les supports, les activités, les évaluations, pour rendre la différenciation pédagogique effective dans les classes. Nous avons développé des pédagogies coopératives, d’autres manières d’organiser les apprentissages avec plus de flexibilité, plus d’interactivité…
Nous avons appris à travailler avec des AESH, à participer aux équipes de suivi en rencontrant d’autres professionnels.
Nous avons tenté d’harmoniser les process de reconnaissance des situations de handicap, les attributions d’aides. 20 ans de travail entre le ministère de la santé et l’éducation nationale, entre les MDPH, les familles, et les inspections académiques ; entre les professionnels médico sociaux et les professionnels de l’éducation.
Alors que pouvons-nous espérer développer, améliorer pour une école pour tous réelle ? Dans 20 ans, aurons-nous transformé notre école ? Sera-t-elle enfin une école du 21 me siècle ?
Il nous faut continuer à modifier nos représentations sur la question du handicap et de la difficulté scolaire et comprendre encore davantage que c’est le regard que nous portons qui se réfère sans cesse à une « normalité » attendue, qui classe et catégorise et désigne le handicap. Nos connaissances sur la diversité, qu’elle soit culturelle, sociale, cognitive ouvrent un immense travail de compréhension et d’acceptation des différentes manières d’appréhender le monde, de le comprendre, de s’y intégrer plus ou moins. Nous devons rester humble face au mystère que constitue chaque être humain. L’école est appelée à dépasser les modèles normatifs sans tomber dans le piège d’une sur personnalisation. Car derrière ces diversités, il y a aussi ce qui nous réunit, ce en quoi nous sommes semblables : dans notre dignité, dans notre droit à vivre et à apprendre avec d’autres, dans notre désir de prendre place au sein d’une communauté. L’exclusion détruit et ceux qui sont exclus et ceux qui excluent.
Nous devons résolument quitter la seule logique médicale et catégorielle pour penser des environnements scolaires où la participation de chacun aux activés proposées est possible par la mise en œuvre de l’accessibilité dans tous les domaines, y compris pédagogique.
Il est aussi nécessaire d’interroger notre organisation en classe d’âge qui nous prive de souplesse et d’inventivité. Certains y réfléchissent déjà et l’expérimentent en réorganisant les groupements d’élèves. De même le cloisonnement des disciplines et le peu de pratiques interdisciplinaires freinent la possibilité de faire des liens, de comprendre le monde et de donner sens aux savoirs enseignés et donc ne favorisent pas de plus nombreuses situations où la participation de tous pourrait être effective.
Nous avons à quitter une vision déficitaire des compétences pour certains jeunes. Nous limitons ainsi leur développement possible. Il nous faut explorer et mobiliser à l’école d’autres façons d’être au monde : une communication sans langage, des comportements qui dérangent la « norme sociale » mais qui disent quelque chose que nous avons à comprendre, des talents éloignés des attendus scolaires parce que trop créatifs, trop spécifiques…
Comment faire évoluer les programmes compte tenu du développement des connaissances, du contexte de mondialisation, d’interculturalité, du développement de l’intelligence artificielle… Des programmes pour une école du XXIème siècle, en fait ! Il est sans doute possible de donner plus d’autonomie aux équipes pour qu’en fonction de leur contexte, une marge d’adaptation des programmes soit possible. Il nous faut aussi revisiter fondamentalement les pratiques d’évaluation ? Que de temps passé où les élèves sont évalués en vue d’une certification et non pour constater les progrès ! Quand apprennent-ils et qu’apprennent-ils finalement ?
Il est temps d’intégrer pleinement que le lieu de vie ordinaire de tout enfant, tout adolescent est l’école… Que dans cette école, il y a des espaces d’enseignement, d’entrainement, de développement de projets, des lieux de respiration et d’appui par d’autres professionnels pour aider au mieux vivre avec les autres et mieux apprendre. Cela va demander de penser de façon plus radicale l’articulation entre les moyens du médico-social et l’éducation nationale, les modalités de travail sur site scolaire. Pour le moment, nous ne voyons pas encore comment permettre à des jeunes scolarisés en établissement spécialisé d’être scolarisés dans les écoles, dans les classes. Notre culture, notre système, notre vision d’un enseignement très académique nous empêchent de voir les choses autrement… Pourtant d’autres pays y arrivent, Portugal, Italie …
La loi de février 2005 a impulsé une transformation de l’école voulant la rendre plus inclusive. Mais cette « loi de consensus » entraine de facto un refrain lancinant autour des limites de l’inclusion. Les acteurs eux-mêmes du médico-social et de l’éducation nationale partagent-ils cette vision ? Pensent-ils vraiment que tous les enfants peuvent être scolarisés dans les écoles avec les appuis nécessaires, en revoyant les taux d’encadrement, en repensant les espaces et le temps, en faisant confiance aux équipes et en donnant de l’autonomie pour adapter les programmes et les organisations d’établissement.
D’une révolution homéopathique qui a travaillé les terrains d’éducation dans la réflexion, les actions, les expérimentations, il nous faut maintenant un changement radical pour faire advenir une école pour tous les enfants. Des organisations nouvelles devront naitre, des murs et des espaces se recomposer, de nouvelles équipes pluriprofessionnelles se constituer…
Le voulons-nous vraiment ? Cela nécessite de partager cette vision dans les sphères décisionnelles et de les mettre en œuvre, mais aussi que les expérimentations de terrain se multiplient dans cette direction et ouvrent ce nouvel horizon.
Véronique Poutoux. 24 janvier 2025.